La semaine dernière nous avons discuté de la perspective propre aux marchés vieillissants.

Les marchés naissants se caractérisent eux par un paradoxe simple : a priori générateurs de marges intéressantes, personne ne sait réellement quand ils vont être en croissance, ni à quel rythme. De sorte que le coup d’investissement nécessaire pour s’y lancer peut n’apporter aucun retour financier et devenir létal pour une activité.

En situation de bulle économique, où le crédit est quasiment gratuit et les investisseurs sont nombreux et prennent des risques, ces marchés naissants sont très prisés. Avec un besoin en retour sur investissement peu pressant, il est plus facile de tester un nouveau produit, ou une nouvelle activité. C’est une stratégie de casino : on mise à fonds perdus sur un numéro de roulette en espérant qu’il soit le bon, pour toucher un retour démesuré. L’essentiel est d’être présent. Amazon a pu ainsi survivre plusieurs années en fonctionnant à perte, avant que son modèle économique ne rencontre réellement son marché.

Mais en situation de récession économique, les investisseurs sont frileux et le crédit rare et coûteux. Comment peut-on alors aborder ces marchés naissants en 2009 ? Pour répondre à cette question distinguons un peu plus précisément deux types de marchés naissants : les marchés naissants en gestation et ceux en démarrage.

Les marchés naissants en démarrage ont commencé à démontrer leur potentiel : les clients se sont manifestés, les ventes apparaissent, se structurent puis décollent. Ils ne sont plus confidentiels et la plupart des acteurs du marché ne se posent qu’une seule question : quand allons-nous positionner une offre ? Les leaders sont dans ce cas le plus souvent déjà prêts, et vont tâcher de créer le plus rapidement possible des barrières d’entrée pour les prochains nouveaux entrants. S’ils sont en retard, ils auront la capacité financière d’investir de façon massive et vont se battre en engageant une stratégie de prix.

A ce stade une PME aura donc toute les chances d’échouer. Le marché naissant est déjà visible par tous : il n’y a plus vraiment de prime au risque, et la différence est faite entre les compétiteurs sur leur capacité à suivre le décollage des ventes par une infrastructure adaptée. A moins d’avoir une proposition surclassant réellement toutes les autres en terme de prix et de qualité, inutile donc de sauter dans le wagon.

En revanche si le marché naissant est encore en gestation, c’est-à-dire qu’il est de l’ordre de la simple bonne idée : mal identifié et sans clients précurseurs actifs… alors les leaders ne seront pas présents. Et dans les cas où ils auront risqué quelques approches, la crise va les pousser à désinvestir des secteurs non-stratégiques et rentables à court ou moyen terme. Ce phénomène est consécutif de la réduction de la R&D, de la baisse de la veille économique, de la diminution des tests et prototypages… Une PME avec la bonne expérience peut dans ce cas reprendre à son compte directement ou indirectement les investissements du leader.

Stratégiquement je dirais qu’il est souvent intéressant de solliciter son plus gros concurrent potentiel : le leader évident auquel ce marché naissant se connecte.  La démarche est contre-intuitive, mais va permettre d’appliquer une stratégie doublement gagnante : idéalement ce leader comme nous l’avons vu désinvesti du type de marché sur lequel la PME veut elle investir. Avec une fraction de l’investissement que le leader aurait dû mettre sur la table, il aura la possibilité de sous-contracter sa prospective à la PME. Celle-ci perd bien entendu une part de liberté dans la mesure où elle va devoir faire approuver certains choix et laisser un droit de regard (et plus tard d’exploitation sous une forme ou une autre) au leader, mais elle bénéficiera d’un autre côté d’une capacité de developpement supérieure à ce que tout autre partenaire ou investisseur aurait pu lui accorder. En allant plus loin, il se peut que le leader soit même prêt à sous-traiter à la dite PME ses brevets et ses marques pour le marché naissant. La prise de risque financière est moindre, et si la PME développe de façon satisfaisante son activité, le rachat est toujours possible.

L’industrie pharmaceutique est coutumière de ce mode opératoire. Face à un investissement minimal de l’ordre de $1,5 milliard par nouvelle molécule et 5 à 10 ans de développement avant une mise sur le marché, il devient de plus courant pour les leaders comme Roche de subventionner des TPE pendant les phases de R&D initiales et de les racheter ensuite. Le premier coût de subvention n’étant que de quelques millions de dollars sur quelques TPE, il est ensuite facile de réinvestir plus largement dans la seule TPE qui aura le plus répondu aux attentes du leader au bout de 2-3 ans. Une logique d’ensemencement et de récolte; qui est une manne considérable pour de nombreux entrepreneurs.

En conclusion, ces deux illustrations sur des marchés naissants ou vieillissants de la façon dont des PME peuvent exploiter le retrait des leaders, ne couvrent pas tout le spectre complexe des marchés en crise. Néanmoins ils démontrent que mécaniquement et pour des raisons reproductibles, de la place se crée en période de crise. Et qu’il est plus facile de l’investir quand on est petit et manœuvrable, que plus gros et soumis à une importante inertie.

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