En novembre 2010, je signalais déjà un grand mal des créateurs de startups en France : vous ne connaissez pas le “champ de bataille” dans lequel vous vous engagez. Le point de départ de cet article était un écrit encore plus ancien de Richard SCOBLE, qui nous traitait de ringards sur ce sujet. Propos assez appuyé, mais à mon sens très justifié.

Nous sommes en mai 2013 et pas grand chose n’a changé de mon point de vue.

Une grande majorité des startups que je rencontre dans l’hexagone restent incapables de citer : une douzaine de concurrents ou de projets avancés qui sont dans la même logique qu’eux, les grands groupes qui définissent leur marché et qui risquent de se réveiller d’un mois à l’autre et qui sont les clients les plus avancés qui pourraient les entendre avec la meilleure acuité. Pire, certaines notions théoriques leur échappent totalement.

Prenez des sujets usés jusqu’à la corde : la viralité, les stratégies de gratuité, l’open data, la gamification, la consommation communautaire et j’en passe. Si ces concepts ont la moindre importance dans l’aventure entrepreneuriale que vous lancez, pensez-vous que vous êtes pardonable de ne pas en comprendre les mécanismes intimes ?

Je ne parle pas de faire une thèse sur le sujet, mais d’au moins avoir lu ce que vous trouverez sur le sujet après une journée de recherche sur Google et Amazon. Nous parlons d’un investissement en temps d’une semaine à tout casser, plus le temps que vous passerez vous même à construire le projet. Malcom GLADWELL estime à 10.000 heures le temps nécessaire à passer sur un sujet pour pouvoir en devenir un véritable expert. Pensez-vous que vous deviendrez un expert de votre futur business par inadvertance ? Jugez-vous inutile de passer une cinquantaine d’heures pour démarrer ?

On reproche souvent aux startupeurs français leur néfaste culture d’ingénieur qui les pousse à avoir tout bordé et vérifié dix fois avant d’avancer. Mais s’il m’arrive toujours de croiser quelques maniaques incapables de prototyper quoi que ce soit, ce n’est vraiment qu’une infime partie des porteurs. La majorité d’entre eux ne sont pas “parfaitement conscients de la complexité des marchés dans lesquels ils s’engagent” (lisez : ce sont des feignasses).

Il ne faut pas non plus éliminer deux mécanismes psychologiques qui peuvent se combiner et auquel en tant qu’entrepreneur, il est difficile de pleinement échapper :

  1. Le fatalisme protecteur : “Si je ne fais pas le tour de ce qu’il y a sur le marché je ne vais pas me décourager et je vais pouvoir avancer”.
  2. Ou le syndrome des génies isolés : “On a vraiment une technologie de dingues, personne ne pourra vraiment nous toucher” (pathologie aussi connue sous le nom de pasdeconcurrentisme).

Donc oui, mon propos est assez paternaliste (mais pas condescendant, je suis passé par là plus qu’à mon tour) : en ce qui concerne votre marché, faites vos devoirs !

A titre d’exemple, voici le mémoire de Bastien KERSPERN sur le sujet de la démocratie et du web social. Je ne connais pas Bastien, qui est un jeune designer qui lance lui-même un projet web sur le sujet, mais il vous donne le ton. Voilà ce que vous devriez connaître si vous même vous lancez un projet dans ce champ de bataille :

Inutile de rédiger un tel mémoire, ni même d’en être capable pour le coup, mais 80% des informations présentes, des personnes citées, des initiatives listées et des mécanismes présentés, devraient être connus de vous. Comment pourriez-vous trouver une position innovante et investir des ressources sinon ?

Si vous ne souhaitez pas devenir un acteur innovant de l’e-democratie, transposez à votre propre champ de bataille ce que cela veut dire.

Et parce que vous cherchez une position innovante, ce travail est aussi forcément très personnel. Par définition vous ne voyez pas tout à fait le marché comme tout le monde : vous visez un espace vierge. Une zone plus ou moins étroite, mais dans laquelle personne n’est jamais allé, ou pas de la façon dont vous l’envisagez. Vous pouvez donc lire tous les mémoires que vous trouverez sur le sujet, ou payer quelques milliers d’euros une étude Gartner ou Deloitte, vous n’aurez fait qu’une toute petite partie du travail. L’essentiel se fera au contact du marché, dans la façon dont vous présenterez le problème que vous percevez et dans la façon dont cela sera reçu et compris.

Si ce travail n’est pas fondateur de votre démarche, ne rêvez pas : personne ne sera capable de venir faire à votre place Le Marketing™ et de résoudre tous vos problèmes de positionnement marché.

Mais c’est aussi rassurant puisque cela définit la raison d’être d’une startup : voir le marché différemment et proposer une solution plus risquée que la moyenne, tout en construisant un business model pérenne.

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