Cela fait quelques mois que je suis en train de développer un problème avec les startup weekends. Je n’avais pas trop pris le temps d’analyser ce sentiment diffus jusqu’à hier après-midi où plusieurs choses se sont mises en perspective, après avoir travaillé avec une équipe d’étudiants lançant leur projet à l’issue d’un de ces évènements.

Tout d’abord je me dois de rappeler que ces évènements bénévole sont soutenus par l’agence dès que nous en avons le temps et l’opportunité. C’est souvent le prolongement de cours de MBA ou de masters que nous donnons sur l’innovation et l’entrepreneuriat. De ce point de vue 54h de startup weekend valent largement un semestre de cours. Et si les 54h arrivent après le semestre, elles prennent une dimension pédagogique toute particulière.

La valeur ajoutée d’un startup weekend est donc d’être un fantastique simulateur, un grandeur nature avec des professionnels, un laboratoire de l’effectuation accessible sans diplôme ni références. Juste une idée et un talent à partager en équipe.

Le premier soucis que je commence à avoir, c’est que je n’ai pas l’impression que ceci soit finalement très clair. Participant souvent à ces weekends je vois quelques mois après les quelques équipes qui sont encore formées pensant avoir fait le gros du travail, qui trouvent une place en pépinière et qui se donnent quelques mois pour finir leur application, régler la monétisation, contacter des clients, faire quelques ventes et passer à la v2.0. Avec cette façon d’aborder un projet de startup à l’envers ces équipes partent dans le mur. Elles devraient par exemple se dépêcher de ne rien développer et d’aller rencontrer ceux que l’on pense être les futurs clients possibles pour voir s’ils ont bien le problème que l’on imagine et réfléchir ensuite à ce que l’on pourrait leur apporter…

Et outre le fait qu’elles pensent avoir fait en 54h le tour de la question de leur projet avec des dialogues surréalistes du type :

– Mais l’avocat qui était mentor m’avait dit qu’il y croyait vraiment à notre application…
– Ah, et c’est lui le coeur de cible ? Il a quel budget pour l’acheter ? Il l’a diffusé dans son réseau depuis ces 3 derniers mois ?
– Euh… Non, mais vraiment il nous a quand même dit que c’était une très bonne idée.

Mais pire, beaucoup pensent avoir fait le tour de la question de ce que c’est que de monter une startup. Que quelques uns soient meilleurs que des experts qui ont les mains dans le camboui depuis des années sur ce sujet, je ne peux pas éviter de l’admettre. Mais que ce soit un sentiment partagé par de plus en plus d’entre eux, là je me dis que nous nous plantons parce que nous leur transmettons trop d’enthousiasme et que dans ces 54h nous nous sentons obligés de trop aplanir la réalité.

Certes monter une startup coûte très peu d’argent. Plutôt que de partir en stage chez KPMG ou Deloitte à Londres, il est clairement plus attractif de monter un vrai projet et de se frotter à la réalité des marchés de l’innovation. Les coûts administratifs sont de plus en plus bas, de nombreuses pépinières et incubateurs font un travail d’accompagnement remarquable avec du sponsoring régional et européen, les experts sont facilement accessibles et les outils techniques pour faire du web sont essentiellement gratuits dans un premier temps…

Or, quand c’est l’armée américaine qui fait cette propagande délirante dans la réalité, ils s’assurent quand même d’entrainer la chair à canon avant de l’envoyer sur le champ des opérations. Dans ce que nous faisons il n’y a pas vraiment de sas de décompression et les porteurs de projets issus de ces weekends ne sont pas assez amenés à prendre le recul nécessaire pour digérer efficacement le changement de paradigme : on se met maintenant à tirer à balles réelles.

À ce constat je le reconnais assez dur, se superpose la lecture peu flatteuse de l’indigeste opus des trois fondateurs de ce mouvement aux US, qui est en fait un panégyrique commercial de leur dispositif.

Au troisième témoignage de personnes dont la vie a été changée en 54h, sans aucun autre contenu, je décroche. D’autant qu’à 17 euros cela fait cher la plaquette marketing. Il devient manifeste que les trois fondateurs qui ont lancé cet extraordinaire mouvement sont dépassés par le succès. Il n’y a qu’à voir les échos qui me reviennent de plus en plus sur la machine que le mouvement semble vouloir devenir.

En définitive je suis donc géné qu’avec le succès, ce qu’est un startup weekend est devenu mal compris. Et cette incompréhension est aggravée par la transformation marketing opérée par les fondateurs.

Quelques clefs pour débloquer cela :

  1. Tout d’abord si ce que je pressens s’avère, sortons des fourches caudines du nom commercial “startup weekend” : les gars
redevenez cools

ou tout le monde se met à jouer sans vous ! Vous n’avez pas inventés les “bootcamps” de startups. N’essayez pas de les copyrighter à l’américaine.

  1. En amont, impliquons plus formellement les structures académiques dans ce type d’évènement. Surtout pas pour y amener des mentors, à de rares exceptions elles n’en ont pas sur ce sujet, mais pour qu’elles s’y forment et qu’elles finissent par amener une certaine continuité à leurs étudiants.
  2. En aval, impliquons plus formellement incubateurs et pépinières. Certains ont bien compris, commencent à s’impliquer de près et amènent une vraie solution de continuité. Mais c’est encore neuf et avouons-le déstabilisant : puisque il arrive aussi que certaines équipes aient tout de même en 54h plus de maturité sur un projet, qu’un incubé classique au bout de 18 mois.
  3. En transverse faisons le suivi et le post-mortem de tous ces projets (Nager & Co si vous voulez vous remettre à faire quelque chose de brillant c’est maintenant) : quelle est la liste des idées testées depuis le début, quels sont les résultats 3, 6, 12 mois après, pourquoi cela n’a pas marché, peut-on reprendre de bonnes idées d’un weekend à Mumbai, à Austin ou Grenoble, comment met-on en contact les anciens participants avec les nouveaux ? Parce que ce dispositif a le potentiel d’un fantastique vivier d’intelligence collective et d’innovation ouverte à l’échelle de plusieurs pays.
  4. Finalement dispersons le concept et sortons de l’hégémonie “pure web players” : le prochain projet de couponing social géolocalisé que je vois je fais une crise. Un startup weekend de prototypage et de rétro-engineering avec de la CAO et des imprimantes 3D ça marche ! Un startup weekend biotech ça marche ! Un startup weekend pour un grand groupe ça marche !

Et sur ce tout dernier point concernant les grands groupes, je développerai à l’ENSCI la semaine prochaine quelques explications sur des axes de travail que l’agence a mis en place au-delà de l’intrapreneuriat et de l’innovation ouverte, sur l’extrapreneuriat (vous aurez vu au moins ce terme pour la première fois ici – et oui je fais du teasing) :

Un mot de conclusion. Vous savez que comme souvent mes coups de gueules sont proportionnels à mon fervent enthousiasme sur un sujet.

En l’occurrence vous en pensez quoi : on entérine que les startup weekends étaient une mode sympa qui se dénature et meurt, ou on relance tout cela ?

(EDIT du 24 mars : Suite à quelques indications sur Twitter je supprime pour l’instant ma remarque sur la partie financière. J’y reviendrai après vérification. Bien qu’un sujet sensible ce n’est qu’un point très secondaire de cet article qui ne doit pas occulter le fonds du propos. La beauté de Twitter est qu’il permet cette réactivité.)(EDIT du 25 mars : Après vérification avec Déborah, je peux être plus précis, il s’agissait  jusqu’en 2010 de $2.000 par évènement qui étaient remontés. Depuis un fonds de collecte communautaire recueille, une fois que les frais d’un évènement ont été payés, tous les surplus de sponsoring à hauteur de 50% vers la fondation US et 50% qui restent au niveau national. Ces fonds sont utilisés de façon discrétionnaire — ce qui est bien normal — et parmi leurs utilisations possibles je relève “In-kind support to Startup Weekend teams who are still working 30+ days after the event”. Je ne sais pas aujourd’hui si ce point a été listé comme une intention possible de l’organisation, où comme une réalité manifestée. Je ne sais pas non plus ce que veux dire un “support amical”. Ceci étant, il ne me semble pas être un point parmi d’autres, mais comme expliqué dans l’article… une priorité extrême.) (EDIT du 27 mars : Un grand merci à Antoine qui a été le seul à réussir à m’indiquer deux initiatives répondant parfaitement à certains points évoqués dans ma proposition n°5 avec un Maker Startup Weekend, tout frais de ce mois-ci, et un Health Startup Weekend de septembre dernier que je ne connaissais pas. Je suis très intéressé par avoir des retours sur ces évènements !)

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